L’Intuition
Bernard Chassé
L’art contemporain nourrit, il me semble, un faux malentendu, à savoir que le discours critique, que l’on entretient à coups de colloques, de revues savantes, de programmes universitaires et de je ne sais quoi d’autre encore, a préséance sur l’oeuvre.
France Jodoin est une peintre autodidacte, au sens le plus noble du terme, c’est-à-dire qu’elle a appris à peindre en peignant, par essais et erreurs. Elle n’a pas fait les grandes écoles d’art, pas plus qu’elle ne cherche à discourir, à expliquer, à justifier son travail. Ce qui est là, existe.
Elle explore simplement, dans l’espoir – en tout cas, je l’imagine – de trouver quelque chose. Mais quoi? Un bien-être? Le sentiment de satisfaction qu’on peut ressentir lorsqu’on croit avoir terminé un tableau? Peut-être bien. Peut-être pas. La satisfaction est une chose étrange, qui s’éteint souvent rapidement. Oui, non, ce n’est pas ça… Pas encore. Il faut alors recommencer, reprendre, retravailler. Peindre à nouveau. Ne pas s’autocensurer. Peindre et apprendre à peindre, encore et toujours. Saisir le moment.
Dans l’atelier de l’artiste, tout donne l’impression d’être à sa place : tables, toiles, faux-cadres, tubes de peinture, un fauteuil pour se reposer, reprendre son souffle. Posés sur le sol, quelques tableaux évoquent des paysages marins ou une vue sur une ville située au bord de la mer. Ici, on pourrait imaginer les côtes de Terre-Neuve. Là, nous sommes complètement ailleurs: à Venise, peut-être. En fait, cela n’a pas beaucoup d’importance. On se trouve moins dans l’ordre de la représentation que du sentir, du suggestif, de l’intuitif. Le regard porté au loin, le regard porté en soi.
L’intuition, oui. Je sais, l’idée fera sourire certains. Malheureusement, il y a beaucoup de gens cyniques à notre époque pour qui l’intuition apparaît comme quelque chose de suspect, de pas trop sérieux, sinon de carrément dépassé. Pourtant, l’intuition, c’est ce qui touche, ce qui donne accès à la voie intérieure et qui conduit vers le réel. C’est l’émotion parfaitement singulière et qui n’appartient qu’à soi. L’intuition, c’est ce qui dérange, ce qui bouscule, ce qui agace, comme ce qui apaise profondément. C’est bien après que les mots servent à donner une forme et un sens.
Il faut savoir que le tout premier métier de France Jodoin a été celui de traductrice. Les traducteurs sont comme des messagers, ils permettent le passage d’un état à un autre, celui d’une langue à une autre.
Elle trouve aujourd’hui dans la peinture, une nouvelle façon de traduire, non pas la parole des autres, mais la sienne propre. Le médium a changé, mais pas l’intention, qui est de rejoindre, au plus intime, le sens et l’essence du langage intérieur. Ce qui se trouve au coeur, au centre et qu’on appelle… l’intuition.